Des perles d'eau s'effondraient dans une frénésie transparente et bruyante. Mon regard cerné scrutait le chemin qui menait au manoir, à travers cette vitre brisée. Comme tant d'autres désormais.
Je finis la dernière cigarette qui me restait, laissant s'effondrer les cendres sur le parquet faiblement éclairé de ma chambre.
Une semaine s'était écoulée depuis le cambriolage et j'y avais perdu mon essence, mon âme... De ce que j'avais étudié des détraqueurs, ma pensée allait peut-être un peu loin dans ces mots. Pourtant, le mal était là et ma lassitude de la Vie bien présente.
Maman me manquait. Je l'avais aimée sans jamais lui dire véritablement. Je regrettai ces moments que j'aurai pu passer avec elle et où, trop fière, trop insouciante, je m'étais effondrée dans des livres pour préparer un hypothétique avenir...
L'avenir, cette chose si méprisante et si mieux incertaine que ne l'était le présent.
Comment pouvait-on faire le deuil d'une mère ? A un âge pareil ? Je soufrai de ne plus l'avoir et pourtant, je n'anticipai pas un centième de ce que je regrettai de ne pas avoir fait avec elle.
Tout ce gâchis pour si peu. Il m'avait fallu deux jours pour véritablement réaliser que jamais plus je ne la reverrai. A compter de cet instant, j'en avais profondément voulu à mon père. C'était de sa faute. Trafiquant d'objets en tout genre, marchand à travers le monde. Trafiquant et meurtrier. Je le tenais pour responsable car s'il n'avait pas ramené ces parchemins d’Égypte, alors rien de tout cela ne se serait produit. Je le haïssais comme rien ni personne. Il avait beau avoir assassiné de sa main chacun des monstres qui avaient commis ces horreurs, cela ne rachetait pas ses fautes. Cela ne ramènerait pas Maman, jamais.
L'année qui suivit, je revis presque toutes les nuits cette instant où elle m'enferma dans ce placard de ma chambre. Je revivais le bruit des déflagrations, des destructions du mobilier et surtout, ce mot :
Stupefix.
Quand je ressortis dans les minutes plus tard, je découvrais son corps mutilé, allongé sur mes draps blancs tâchés de sang. La barbarie dont ils avaient fait preuve ne pouvait trouver de mots pour être qualifiée. Je mis 2 années pour cicatriser, pour cicatriser autant que l'on peut cicatriser d'une perte aussi cruelle et immonde.
Après trois ans à Poudlard, tout le monde connaissait tout le monde. Ce n'était pas comme un groupe des meilleurs amis qui existent mais au moins, on savait mettre un visage sur les noms qu'on entendait. Quand la Gazette du Sorcier avait fait état du carnage, je crois bien que toute ma promotion avait compris ce qui m'était arrivée, avant moi.
"
In labore requies", cette année fut paradoxalement ma plus brillante au collège et étrangement, ma plus sereine vis-à-vis des gens. On avait beau être des gosses en puissance, je n'ai pas souvenir que qui que ce fusse ne m'eusse mal parlé cette année-ci. Le fait que je ne sortis pratiquement pas de ma chambre avait peut-être eu un impact ceci dit.
C'est dans ces temps que j'avais cherché à fuir le manoir. Poudlard était un lieu d'évasion où je pensais à autre chose qu'elle, un endroit dans lequel je compensais mon manque en pensant à l'avenir. Papa avait probablement eu la même réaction de son côté, à fuir à son tour notre espace dévasté, rempli d'un souvenir immonde en tout point.
Je songeai que, plus tard, je briserai la tradition familiale en vendant la résidence pour vivre ailleurs. Avait-elle existé pendant sept siècles que je ne voulais plus la revoir, ma douleur trop grande.
Je ne revins là-bas que pour les vacances d'été, tout comme mon père. Son voyage d'affaire s'était étendu tout le long de l'année scolaire. Notre elfe de maison avait eu la charge de maintenir le lieu dans un état convenable, effaçant toutes les traces du triste évènement.
Et Kleid n'avait pas chaumé. Tout était impeccable et toutes les photos de la défunte retirées, les références à elles entreposées dans notre grenier. Il y avait une sensation de vide, mais moins prenante qu'elle ne l'avait été auparavant. D'autres tableaux plus anciens se trouvaient sur les murs, des aïeux dont je n'avais jamais entendu parlé gardant désormais l'entrée.
Rejoignant ma chambre pour y laisser ma malle, je retrouvai Lanka sur mon lit, ce Phénix qui avait appartenu à ma mère. Il était là, me regardant de ses grands yeux rouges. Sous ses pattes, une autre malle avec des armoiries qui ne m'étaient pas inconnues. Mes faibles études héraldiques m'avaient au moins enseignée qu'il s'agissait ici de Beauxbaton, le collège où avait été Maman.
Kleid s'y trouvait aussi et luttait contre l'oiseau pour l'emmener ailleurs. Mais la créature de plumes ne l'entendait pas de cette façon, agrippant les poignées de ses serres et hurlant sur le petit être grisonnant. Impuissant, l'elfe battit en retraite après que je lui en donnai l'ordre.
Ce Phénix était aussi vieux que la lignée de sorcière maternelle. Sans trop savoir pourquoi ni comment, il nous avait toujours donné cette loyauté sans faille. On ne pouvait que l'aimer du berceau jusqu'au cercueil. Qu'il reste là, et qu'il soit là pour moi, en ce temps si dur, indiquait à quel point je me sentais proche de lui.
Dans un mouvement machinal, je passais le dos de ma main sur son plumage doré, mes pupilles presque aussi dilatées que les siennes. Il fit quelques pas sur le côté, donnant un coup de bec sur le verrou qui gardait la valise. Ce geste d'empressement m'interloqua et je m'exécutai.
Tout était rangé avec soin, la dorure des couvertures conservée comme au premier jour. Il y avait principalement des livres de cours ou des livres de notes, tous rédigés dans un parfait français. J'aimai la prose de Maman, la forme de ses lettres comme l'enchainement des mots qu'elle utilisait. Tout se trouvait avec un ordre reposant et harmonieux.
Une page s'humectait d'une larme.
Je réalisais à quel point elle me manquait, à quel point j'aurais donné tout ce que j'avais pour la prendre une dernière fois dans mes bras.
Dans les semaines qui suivaient, je lisais son journal intime comme je lisais un roman. Il était choquant de voir comme nous étions proches au même âge, aspirant au savoir comme à la grandeur.
J'avais lu avec passion la vie d'une étudiante qui demeurait à bouquiner sans cesse, qui utilisait presque son journal intime comme un agenda ou un recueil de sort. Néanmoins, la date du 14 juin de sa cinquième année attirait mon attention. Elle y faisait la référence d'un ouvrage interdit à Beauxbaton qu'elle avait découvert. Passé ce point, la suite de son journal intime devenait une série de symbole, comme un code incompréhensible.
Je ne trouvai le moyen de le percer qu'à la fin de ma propre cinquième année et à grand renfort de caféine. Le code reprenait en fait un codage par masque par rapport aux premières pages qu'elle avait établies en clair. Maman expliquait devoir dissimuler ses recherches sous le risque d'être renvoyée de son établissement. Piquée de curiosité, je m'intéressai moi même à ces travaux.
Je retrouvai ce livre dans la même malle. Rien qu'à la couverture, on comprenait qu'il abordait les sciences obscures. La reliure était faite d'un cuir très tendre mais la première page avait un crâne miniature implanté à l'intérieur. Il était impossible de lire ses pages sans le journal. La formule m'avait ainsi permise de faire apparaitre l'encre de l'ouvrage.
Je ne sais pas ce qui l'avait poussée à s'intéresser à quelque chose d'aussi obscure que la Légilimencie. J'accordai cela à une quête de pouvoir, alimentée par notre curiosité maladive. C'était ce même goût de l'interdit qui m'avait poussé à suivre ses pas ; ou bien, une tentative pour lui ressembler, pour me rapprocher d'un souvenir qui me tourmentait encore et toujours.
Et mes débuts avaient été catastrophiques, pour ne pas dire humiliants. J'avais passé de longues nuits à torturer des elfes de maisons dans ma quête de maitrise. Tant d'effort pour si peu de progrès...
Pour parfaire mon emprise sur le sort, il m'était tout autant nécessaire d'acquérir un contrôle absolu de la pensée. Sans autre professeur que ces notes et un bouquin à la prose douteuse, j'avançais péniblement. Je travaillai mon regard pour qu'il devienne perçant, pour tenter de voir ce que pensaient mes interlocuteurs. Je ne parvins cependant qu'à lire les émotions de ses derniers, sans rien de plus.
L'incantation donnait plus de résultat, bien que je ne parvenais clairement pas à scruter ce que j'aurais souhaité. Il me fallait de la pratique, et dans des proportions obscènes.
L'acharnement me conduit à travailler sans relâche. Détenir ce don pouvait possiblement m'ouvrir plus tard de grandes portes. C'était une chose de se renseigner sur quelqu'un de l'extérieur mais, en apprendre par ses propres pensées, c'est là bien plus fort et une infinité de fois plus efficace.
La fin de ma cinquième année marqua l'instant où j'ai repoussé l'éthique et, alors que Huit-clot pesait sur Poudlard, je profitai du chaos général pour expérimenter la Légilimencie de façon plus appliquée.
Il y avait une gamine de première année de ma maison que je ne pouvais supporter. Hautaine, imbu de sa personne.
C'est par un véritable hasard que, fouillant sa chambre, je découvris son journal intime. Un régal, une arme si simple pour la manipuler.
Notre marché était clair, elle devait se rendre tous les deux soirs dans une salle des cachots. Là-bas, je pouvais m'exercer sur elle. Si toutefois elle en parlait à quiconque ou ne venait pas, toutes ses pages les plus sombres seraient révélées dans une beuglante lors d'un déjeuner. De là, elle n'aurait plus de réputation à tenir ici, plus personne pour la soutenir.
Ce nouveau sujet m'instruit beaucoup. La pensée humaine avait en effet cette structure interne singulièrement différente et cet entrainement me permis d'avancer plus vite je pense. Avec du recul, je qualifierais cet instant de mal nécessaire. Peut-être lui étais-je à terme reconnaissante de ce sacrifice qu'elle effectuait.
Si je devais évoquer, plus tard, la bataille de Poudlard, je n'aurai rien de bien heureux à écrire dessus. Je me souviens que j'avais passé plusieurs heures à me balader dans ses souvenirs, si bien que j'en avais oublié l'heure et la notion de temps. Être cloitrées dans une salle sans fenêtre avait peut-être même été synonyme de notre salut.
Nous avions eu assez de temps pour passer inaperçus et avions pu les entendre venir d'assez loin. Si des aurors m'avaient trouvés ainsi, preuve à l'appui, j'aurais sans doute eu beaucoup plus à perdre qu'elle. Elle l'avait compris et, ma garde trop vite relâchée je m'étais laissée désarmée. Moi, Kiara Sophie Knight, cinquième année, par une première année. Elle avait rapidement sifflé son expeliarmus et ma baguette s'envola comme le faisait mon corps.
Dans cette fraction de seconde où j'étais catapultée, je pensai être finie. Finie car ma baguette pourrait me trahir. Avec elle, les aurors pourraient la tester et m'inculper. Une seconde s'écoula, je volai toujours. Elle allait fuir et probablement tout raconter sous mes yeux. Les gens sauraient pour mes activités, pour ce que je lui avais fait subir. Je saurai sans aucun doute renvoyée, sans grand espoir d'atteindre mes ambitieux objectifs.
Alors que mon dos heurtait le sol dans un bruit sourd, je pensai tout aussi nécessaire - si je m'en sortais - d'apprendre le sortilège impardonnable de l'Imperium. Le combinant avec un serment inviolable, il serait possible d'obtenir ce que je voudrai de quiconque.
Mais entreprendre ses recherches seraient possiblement plus compliquées que la légilimencie elle-même.
Alors que je relevais péniblement mon dos, mes vertèbres lombaires craquantes dans une décharge d'endorphine pour calmer la maigre douleur, j’entendis des pas qui se dirigeaient vers nous.
Ils me semblaient témoigner d'une lourde assurance ; probablement des aurors venus remettre l'ordre dans tout cela... Ou pas. Le Destin avait voulu que ce ne soient des mangemorts. Une chance qu'elle m'est envoyée valser. Derrière les cartons de la salle, je ne pouvais être vue.
La gamine évoquée ci-avant y laissa sa petite bouille et moi une baguette de sorbier avec un crin de licorne. Ils les brisèrent toute deux. Nonobstant la peur du moment, ce ne fut pas réellement une épreuve pour moi. J'en avais tellement bavé avant que je n'avais pas été plus choquée par cela. La perte de mon bout de boit m'avait plus touchée que les cadavres en surnombre qui jonchaient la pénombre des couloirs. Enfin, oui et non. Les cadavres des premiers couloirs n'avaient pas été mutilés.
A mesure que j'avançais, j'en découvrais d'autres. D'autres plus amochés, en lambeaux. A plusieurs reprises, je m'étais figée au milieu des corridors, à découvert. Mes mains en tremblaient. Des flashs me refaisaient vivre cette découverte qui avait suivi le cambriolage. Je ne savais plus où j'étais, avec qui je me trouvai. Ces images percutaient mon âme comme si, à l'intérieur, tout résonnait avec le décès de Maman.
J'avais froid, envie de vomir. Il me semble bien avoir régurgité mon déjeuner, et le repas qui le précédait. Mes souvenirs par la suite ne me furent plus accessibles, tant l'effroi avait été vaste. Ma mémoire m'y refusait l'accès, comme pour ces femmes qui ne peuvent se souvenir du viol qu'elles ont vécu.
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A la fin de cette année-ci, Papa me proposa de quitter le Royaume-Unis pour rejoindre l'école de Salem. Si la proposition m'eut été faite après le décès de Maman, je pense que j'aurais pu accepter. Cependant, j'avais tendance à croire que ce qui m'était arrivé eut plus été un coup favorable du hasard : Le chaos politique forgerait de nouveaux postes à pourvoir. Il valait mieux conserver la carte de Salem dans des moments peut-être plus dangereux. Car oui, je le pensai clairement, la situation pouvait devenir bien pire.
Une nouvelle année débuta. J'apportai avec moi la baguette de Maman qui m'allait plutôt bien. Avec du recul, sans doute la nuit Rouge eut été un tournant dans ma prise de confiance, bien que motivée par une chance insolente. J'étais en vie et motivée à avancer. Malgré l'horreur, je vivais toujours. Je pourrais demain me rendre dans ces même couloirs sans risque de m'effondrer car plus rien ne s'y trouverait.
Une nouvelle année donc, où je pris soin d'aller plus loin dans mes recherches, défiant l'autorité de la nouvelle directrice. Je ne la supportai pas vraiment mais, pensais-je : "Tout est autorisé à Poudlard, la seule condition est de ne pas se faire attraper".