« J’ai contacté ma cousine, elle veut bien nous héberger, elle a un fils de ton âge, je suis sure que vous allez très bien vous entendre. »
Elle souriait, mais ses yeux étaient éteins, elle était épuisée, trop pour réaliser que sa petite fille aussi était fatiguée. Calliope l’entendait venir dans sa chambre, vérifier qu’elle y était toujours. La petite fille faisait semblant de dormir pour ne pas inquiéter sa mère. Mais elle ne dormait pas non plus. Sa jambe avait parfaitement cicatrisé. Cependant, parfois la douleur revenait, alors elle touchait son épiderme et s’étonnait de ne pas sentir de cloque, de ne pas sentir les flammes ronger sa chair tendre. Elle entoura de ses petits bras le cou de sa mère pour lui faire un calin, celle-ci posa son front contre son épaule. Elle avait eu si peur.
Jamais elle ne serait tranquille, elle maudissait sa famille et son nom. Une Avery quelle plaisanterie, elle n’avait jamais été fière d’en être une, elle n’avait même pas été admise à Serpentard, mais à Serdaigle. Ils l’avaient traité comme une paria et jusqu’à la fin elle avait espéré que l’un ou l’autre renonce au mariage. Mais les Avery ne renoncent jamais, ils sont obstinés, surtout dans l’erreur, surtout dans l’horreur. Elle ne pensait pas qu’ils viendraient la retrouver, qu’ils viendraient attenter à son foyer. Elle n'imaginait pas qu'on puisse nourrir autant de rancœur.
« Maman ? Je peux te poser une question ? »
Arabella mit un petit moment à sortir du tourbillon de pensées qui agitaient son esprit. Sa fille ne demandait jamais la permission, elle la serra plus fort contre elle, elle savait déjà la nature de celle-ci.
« Vas-y. »
« Ça veut dire quoi sang de bourbe ? »
Calliope n’avait pas encore six ans, elle n’aurait pas dû être exposée à tout cela. C’était injuste. Arabella prit une inspiration. Cherchant ses mots à mesure qu’elle parlait.
« C’est une expression que les idiots utilisent pour parler des sorciers dont l’un ou les deux parents sont nés moldus. »
« Mais ça veut dire quoi ? »
Sa mère soupira, c’était une question compliquée et elle ne voulait pas que sa fille se mette en tête qu’elle était inférieure à d’autres ou culpabilise à cause de cela.
« Chez beaucoup de grandes familles de sorciers, la pureté du sang est importante. C’est un principe idiot qui signifierait que les nés moldus ait un sang sale, néfaste pour la magie. Alors lorsqu’un enfant né d’un couple mixte, ou de moldu, ils le voient comme une insulte, comme si la magie ne devait être réservé qu’à eux seuls »
« Mais il est pas sale mon sang ! »
« Bien sûr que non ma chérie, ça n’existe pas des choses comme la pureté ou saleté du sang. »
Calliope sembla réfléchir un instant, puis se rangea du côté de sa mère. C’était idiot et l’idiotie semblait rendre les gens méchants. L’idiotie avait poussé des gens à incendier leur maison.
« Maman ? »
La petite fille avait une dernière question.
« Oui mon cœur ? »
« Comment on fait les bébés ? »
*
« Vous êtes punis, tous les deux ! »
Calliope devait se retenir de rire devant les cheveux d’un vert d’eau de sa tante. Vincenzo gardait les yeux baissés, attendant que l’orage passe. Sa mère ne restait jamais en colère très longtemps.
Ils avaient trouvé amusant la couleur de la potion qui mijotait, ils avaient juste voulu jouer un peu, Cassiope avait mélangé, rajouté un peu de la poudre bizarre qui traînait, la potion prit une teinte sombre avant de revenir à sa couleur initiale. Ils savaient qu’ils faisaient une bêtise, mais il y avait quelque chose d’irrésistible à le faire en sachant qu'ils seraient punis. Et puis il n’avait pas pu dire non à sa cousine. Il n’avait jamais pu.
Assis dos contre dos dans la chambre de Vincezzo, Calliope n’avait pas dit un mot depuis que la porte avait claqué. Son hilarité était retombée et elle observait le bleu du ciel, l’été s’achevait.
« Maman m’a dit que l’année prochaine je partirai en Angleterre. Elle veut que j’intègre Poudlard. »
C’est ce qu’elle avait toujours voulu. Là-bas, elle serait en sécurité disait-elle. Rien ne pouvait arriver aux étudiants tant que Dumbledore y présiderait. Elle n’avait confiance en personne d’autre et puis elle avait déjà contacté le vieux Grant, il avait accepté d’héberger Calliope. Il avait deux fils également, elle ne serait pas toute seule.
« On se reverra ?»
« Ils pourront pas nous séparer, même s’ils essaient ! »
Calliope s’était levée, elle avait pris une décision et s’y tiendrait. Elle n’irait pas en Angleterre. Déterminée elle extirpa du coffre à jouet une paire de menotte en plastique que son oncle paternel avait offert à Vincenzzo. Le tout avait été accompagné d’un déguisement de policier, un cadeau qui avait semblé au patriarche moldu, parfait pour un petit garçon. C'était depuis remisé au fin fond du coffre. Les jouets moldus le laissaient sceptiques et Calliope les trouvait beaucoup moins amusant. Son air été triomphant tandis qu'elle agitait la pair de menotte devant ses yeux sceptiques.
« On va s’attacher, comme ça ils pourront rien faire ! »
Vincenzo était certains que c’était une mauvaise idée, mais il n’avait jamais rien pu refuser à sa cousine. Spécialement quand elle retrouvait le sourire après une semaine de morosité. Calliope venait de fêter ses dix ans. Calliope était certaine de son plan, elle avait vu des gens le faire à la télé.
*
« Hey tu lis quoi ? »
Elle était arrivée un mois plus tôt et le cadet des Ollivander ne semblait pas désireux de lui adresser la parole. Georges l’ainé et elle, étaient très rapidement devenus bons amis mais Gabriel restait obstinément dans un coin.
Calliope pencha la tête et lu à voix haute le titre du livre, coup de chance elle l’avait déjà lu. Elle aimait beaucoup lire, lui aussi alors c’était peut-être sa chance de parvenir à l’apprivoiser. Quand elle n’était pas fourrée avec Georges, elle venait s’assoir avec le plus jeune pour lire, elle parlait des livres et lui en laissait qu’elle aimait beaucoup, le plus jeune commençait à répondre mais même à demi-mot c’était une victoire pour elle.
Les vacances avaient filés et déjà elle était sur le quai face au rutilant Poudlard Express. Georges étaient là, au moins elle n’était pas toute seule.
C’est sans grande surprise que le choixpeau lui indiqua Serdaigle, elle y fut accueillie sous une salve d’applaudissement. C’était la maison qu’elle désirait, le soir même elle déroula un parchemin pour raconter sa journée à son cousin.
*
C’était déjà la fin, les sept années avaient filés. Elle avait été nommée préfète en chef, s’orientait vers une formation de professeur, elle était devenue une jeune femme assurée et ils étaient déjà trois à lui avoir proposé de l’accompagner pour le bal. Elle avait dit non. Certains murmuraient qu’elle irait avec Georges Ollivander, c’était une idée stupide. Georges était comme un frère pour elle. Et puis, ils étaient en train d’élaborer un plan pour qu’elle puisse inviter Tamsin Moran.
En vérité, elle était troublée depuis quelques mois par un garçon. Un garçon plus jeune. Gabriel Ollivander, elle était la seule fille de l’école à qui il acceptait de parler, il ne percevait même pas que certaine le regardait avec un intérêt grandissant. Il ne s’apercevait de rien.
Un soir alors qu’ils travaillent côte à côte, elle s’était surprise à l’observer, elle l’avait trouvé beau. C’était une découverte brutale. Elle ne l’avait jamais regardé comme ça, elle ne s’était même jamais posé la question avant. Mais là, concentré elle l’avait indubitablement trouvé beau, elle avait observé sa main qui courait sur le parchemin à mesure qu’il écrivait. Elle avait sursauté en croisant son regard, comme s’il avait pu lire en elle, elle avait balbutié qu’elle était fatiguée et avait filé sans demander son reste.
« Hey Venezzio ça te dit de venir au bal ? »
Tout fraichement revenu d’un entrainement de quidditch, Sanyam Isherwood attendait visiblement la réponse avec anxiété. C’est presque avec soulagement qu’elle accepta finalement sa demande. De tous, il était le seul qu'elle ne considérait pas comme un crétin finit.
Et puis.... elle ne voulait rien gâcher de son amitié avec Gabriel. Elle comptait beaucoup trop pour elle, se répétait-elle pour se justifier.
*
« Non ! »
Callope avait hurlé quand il avait annoncé que son père avait été tué. Sa mère était sous impero, rien n’aurait pu être pire. La rage bouillonnait en elle, elle n’était qu’une jeune étudiante mais dans l’ordre du phénix ils étaient bien peu les membres au-dessus de trente ans. C’était le combat de la jeunesse contre des idées obsolètes.
La guerre la transformait, elle n’avait plus de place pour la joie, plus personne n’en avait. Les gens étaient désespérés, elle se rendait à autant de mariage que d’enterrement. Faire la fête tant qu’on le pouvait et se battre pour pouvoir continuer. C’était une période très sombre pour elle, comme pour le monde et puis, un soir, l’annonce de la mort de celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.
Elle a mis du temps à se reconstruire, elle a mis du temps à pouvoir dormir sans se réveiller en sursaut, elle a mis du temps à comprendre que la guerre était terminée. De temps en temps elle se rendait encore à l'hopital ou sa mère restait prostrée, observant le monde d'un regard vide et ne se réveillant que pour demander quand arriverait Antonio.
*
« S’il vous plait un peu de calme ! Vous pouvez râler, pleurer vous trainer par terre si ça va vous fait plaisir, mais ça ne changera rien. Le devoir sera à rendre pour la semaine prochaine. Je veux une dissertation sur les conséquences du protocole de Westminster et sur ses applications dans l’Europe du XVIIIème siècle. Allez un peu de courage ce n’est pas si horrible. Et pensez à consulter l'ouvrage sur les réformes gobelines. »
Calliope, ou plutôt Miss Venezzio observa les élèves quitter la pièce en maugréant pour la forme. Tandis qu’elle s’asseyait à son bureau pour corriger les copies des 3ème années, une voix bien connu la fit sursauter.
« Je savais que tu avais une âme de tortionnaire. »
« Vincenzo ! »
Elle renversa presque sa chaise en se levant, avant de se précipiter dans ses bras. Il était le dernier membre de sa famille, elle le chérissait plus que tout. Elle abandonna ses copies et c’est à pré au lard qu’ils sortirent fêter leurs retrouvailles autour d’un repas.
« Alors ça avance avec ton anglais ? »
Elle grimaça pour toute réponse. Si elle avait tout à fait assumé ses sentiments pour Gabriel, elle n’osait toujours pas les lui exprimer. Une peur du rejet tenace. Leur proximité n’en était que plus douloureuse puisqu’il n’était pas rare qu’il lui rende visite, qu’elle écoute patiemment ses histoires. Mais il repartait toujours sans qu’il n’ait échangé plus qu’une accolade. Si elle avait vécu dans un roman de Jane Austen et avait dix ans de moins, elle aurait peut-être trouvé cela adorable. En l'état elle commençait à perdre espoir.
« Tu devrais le secouer Cal, c’est qu’un homme tu sais, on a du mal parfois. »
« Tu ne comprends pas, il… »
« …Est fait de chair et de sang. Tu ne vas pas le casser. »
« Tu as sans doute raison. »
Elle n’ajouta rien et picora dans son assiette jusqu’à ce que sa vie privée ne soit plus au centre de la conversation. Ça ne concernait qu'elle et lui après tout. Ils étaient grands, ils n’avaient plus besoin qu’on leur tienne la main. N’est-ce pas ?
*
A genou au sol, tremblante et tétanisée elle observait le décor apocalyptique de ce qui avait été, il y a quelques heures encore, un havre de paix. Tachée de sang, elle avait tué, dans une rage frénétique, elle avait tué. Des mangemorts. Des créatures. Elle avait vu tomber bien trop de gens, bien trop d’élève.
Tout ce sang.
Elle lâcha sa baguette qui roula plus loin. Tout recommençait encore. Cela ne finirait jamais. Il y avait tant de corps, peu importe leur camps, ils étaient unis dans la mort. Poudlard était ravagée. Elle faisait parti des héros, elle avait repoussé l’invasion, mais il n’y avait rien à célébrer, il y avait trop d’amis à enterrer. Elle se releva maladroitement, trébucha quand elle voulut récupérer sa baguette. Il fallait qu’elle retrouve les survivants. Qui étaient-ils ? Son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine. C’est Georges qu’elle vit le premier, ils se tombèrent dans les bras. En vie ! Vincenzo à son tour la souleva de terre. En vie ! Gabriel, ou était-il demanda-t-elle sans trop savoir à qui, un peu hagarde. Lorsqu’elle l’aperçut, elle manqua de fondre en larme. Il était là.
Mécaniquement elle se dirigea vers lui ne sortant de sa torpeur que pour réaliser qu’elle le prenait dans ses bras, s’agrippant à lui comme à un rocher dans la tempête, le visage niché dans le creux de son épaule.
*
Les anarchistes, l’héritage, le ministère, tout cela lui importe peu. Il a fallu reconstruire Poudlard, accepté que des changements drastiques soient faits. La bonne humeur, qui régnait autrefois entre les murs de l’école, n’est plus. Lorsqu’un éclat de rire retentit dans les couloirs il surprend tout le monde, si bien que s’excuse celui qui un instant à oublier les morts entre ces murs. Parfois Calliope se fait elle-même l’effet d’être un fantome, mais elle n’abandonne pas. Ne sombre dans le cynisme, elle veut croire que des lendemains meilleurs sont possibles, elle a besoin d’y croire.
L’inquisition lui parait le parti le plus à même de ramener une situation stable. Elle connait bien l’histoire et l’inquisition n’est pas toute blanche, mais cette période réclame des mesures drastiques. Peut-être les générations futures condamneront ce choix, elle n’en voit pas d’autre.
Calliope est réveillée tous les soirs par des cauchemars, hantée par tous les morts de la nuit rouge. Elle veut juste que ça s’arrête. Arrêter de s’inquiéter qu’à chaque courrier elle craigne l’avis de décès, de se demander à chaque départ s’il y aura un retour.
*
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant ?
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant ?
Jacques Prévert